La santé face au double défi de la digitalisation et de l’illectronisme

La vulnérabilité dans le domaine de la santé

La vulnérabilité, dans le contexte de la santé, fait référence à une situation dans laquelle une personne est susceptible de subir des dommages ou des désavantages en raison de divers facteurs. Ces facteurs peuvent être physiques, psychologiques, sociaux ou environnementaux.

Ainsi, la vulnérabilité liée à la santé peut être directement liée à l’altération de la santé d’une personne, comme dans le cas des pathologies chroniques (20 millions de personnes en France, soit 35% de la population couverte par le régime général) (1), ou peut être une conséquence de cette altération, affectant la personne sur les plans physique, social, psychologique et environnemental (2). Elle peut également être induite par les progrès médicaux, qui, tout en visant un bénéfice direct pour certains segments de la population française, peuvent générer, a contrario, des effets secondaires néfastes ou des événements indésirables pour d’autres individus.

La vulnérabilité est donc un concept complexe qui, pour être pleinement compris et pris en charge, s’inscrit dans une approche pluridisciplinaire aux confins de l’éthique, des sciences sociales et humaines.

Progrès et disparités

À l’ère numérique et avec le développement des nouvelles technologies, le concept de vulnérabilité est crucial et ceci à plusieurs titres.

D’abord, les progrès technologiques en médecine peuvent créer des disparités dans l’accès aux soins, ce qui rend certains groupes plus vulnérables. La vulnérabilité face aux technologies contribue à accélérer la disparité des soins de plusieurs manières. D’après un rapport sénatorial de 2020, environ 14 millions d’individus disposent d’un accès limité ou inexistant aux outils numériques en France (3). Plusieurs facteurs concourent à cette situation : une méconnaissance de l’utilisation des technologies informatiques, le manque d’une connexion Internet personnelle ou de dispositifs numériques au sein du foyer, et enfin, un éloignement numérique lié à la zone géographique d’habitation.

Les paradoxes technologiques en santé

Cette inégalité d’accès aux soins et de maîtrise des technologies provoque une répartition discontinue des traitements médicaux avancés. A l’ère de l’accélération du digital en santé, les personnes rencontrant des difficultés d’appréhension des technologies se retrouvent dans une situation de vulnérabilité parce qu’elles comprennent mal les apports et les bénéfices de ces solutions. Ces évolutions peuvent progressivement laisser sur le bord du chemin certains groupes de patients, peu ou pas à l’aise avec les outils numériques, ce qui peut limiter leur capacité à participer activement à leurs soins de santé et à accéder aux informations sur les traitements disponibles.

Notre dernier Baromètre réalisé en partenariat avec l’Ipsos avait souligné l’ampleur et les défis de cet illectronisme face à la digitalisation de la santé :  les personnes les plus à risques de développer des pathologies sont les moins enclines à utiliser la santé connectée – les + 55 ans (69%) et les moins diplômés (65%). (4)

Il en est de même pour les outils numériques destinés à suivre et à accompagner les patients, mais pouvant avoir un impact sur le type ou la qualité des soins reçus. Ces outils ne sont pas nécessairement synonymes de traitement optimal ou de prise en charge réussie des patients (5). A l’ère du questionnement relatif aux déserts médicaux en France, cela semble être difficilement solvable sur la base d’un déploiement unique des technologies les plus en vogue.

Parallèlement à cette situation, la complexité croissante des technologies médicales nécessite souvent des compétences spécialisées pour leur utilisation et leur maintenance. Les établissements de soins situés dans des régions moins développées ou avec moins de ressources peuvent ne pas disposer du personnel qualifié nécessaire pour exploiter pleinement ces technologies, ce qui peut conduire à des soins suboptimaux pour les patients de ces régions.

Il est donc essentiel de reconnaître et de traiter les vulnérabilités individuelles pour s’assurer que les avancées technologiques dans les soins de santé bénéficient à tous de manière équitable. Cela implique de développer de nouvelles formes de solidarité et une responsabilité accrue de la société envers ceux qui sont affectés.

Il est impératif en ce sens d’intégrer le concept de vulnérabilité dans la réflexion sur l’évolution des soins de santé à l’ère numérique pour assurer que les avancées technologiques profitent à tous et ne créent pas de nouvelles formes d’exclusion ou de préjudice.

Références

(1) Conseil économique, social et environnemental (CESE), « Les maladies chroniques » - https://www.lecese.fr/travaux-publies/les-maladies-chroniques

(2) Maladie psychique (5 millions), handicap (10 millions), proches aidants (11 millions), fracture numérique (13 millions), addictions (5 millions), personnes âgées de plus de 65 ans (13 millions).

(3) Sept. 2020, « Rapport d’information fait au nom de la mission d'information sur la lutte contre l'illectronisme et pour l’inclusion numérique sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique », par M. Raymond Vall, Sénateur - https://www.senat.fr/rap/r19-711/r19-711.html

(4) Baromètre « Perception des Français sur la santé connectée » de la chaire Management in Innovative Health (Bristol Myers Squibb, EDHEC) – sondage 2023 réalisé par Ipsos. https://www.edhec.edu/fr/news/decouvrez-resultats-1er-barometre-sante-connectee-bms-edhec-ipsos

(5) “Empowering health care consumers in the era of Internet of Things”, International Journal of Consumer Studies (2022), https://doi.org/10.1111/ijcs.12887

EDHEC Vox, nov. 2023 “How connected healthcare devices are empowering patients”, https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/how-connected-healthcare-devices-are-empowering-patients

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